Alors, pourquoi l’Amérique a-t-elle soudainement décidé de bouder le sucre de canne ? C’est une question sucrée-salée qui mérite qu’on s’y penche.
Le grand remplacement : sirop de maïs contre sucre de canne
Imaginez un instant : vous êtes confortablement installé, prêt à savourer votre soda préféré. Mais attendez ! Le goût a peut-être changé sans que vous ne le réalisiez. Pendant des décennies, le sirop de maïs à haute teneur en fructose (HFCS) a régné en maître dans les boissons et aliments américains. Mais les temps changent, mes amis !
Ces vingt dernières années, l’utilisation du HFCS a chuté aux États-Unis. Pendant ce temps, le sucre de table, celui que l’on tire de la canne ou de la betterave, a fait son grand retour. Les consommateurs, visiblement, ont commencé à faire attention. Certaines entreprises agroalimentaires aussi. Résultat ? Le sucre de table remonte la pente, tandis que le HFCS a vu sa consommation diminuer d’environ 25 % depuis l’an 2000. C’est un peu comme si le sirop de maïs, après avoir été la star, retournait discrètement dans l’ombre.
Quand la politique s’en mêle : le HFCS sur le banc des accusés
Et comme si ça ne suffisait pas, la politique s’est invitée à la fête. Ces derniers mois, des figures politiques de tous bords ont pointé du doigt le HFCS. De Bernie Sanders, le sénateur démocrate, à Robert F. Kennedy Jr., en passant par un ancien candidat de l’administration Trump au poste de secrétaire à la Santé, tous ont dénoncé les liens entre le HFCS et les problèmes d’obésité. C’est un concert d’accusations !
Anna Paulina Luna, une représentante républicaine, n’a pas fait dans la demi-mesure. L’été dernier, elle a même déposé un projet de loi pour interdire purement et simplement cet ingrédient. Bernie Sanders, lui, a fustigé le Congrès et la FDA. Il les accuse de laisser les « grandes entreprises engranger d’énormes profits en incitant les enfants et les adultes à consommer des aliments ultra-transformés et des boissons bourrés de sucre, de sel et de graisses saturées ». Ambiance ! Robert F. Kennedy Jr., deux mois plus tôt, avait qualifié le HFCS de « formule pour devenir obèse et diabétique ». Sympa, l’ambiance au Congrès…
Subventions et tarifs douaniers : la recette du succès (du HFCS)
Mais au-delà des débats nutritionnels, l’ascension fulgurante du HFCS est avant tout une histoire de gros sous et de politique. Subventions gouvernementales, tarifs douaniers, faveurs politiques… Le HFCS doit beaucoup à ces ingrédients moins avouables. Le sucre, c’est aussi une affaire économique. Et selon les experts, ce système profite surtout à quelques acteurs puissants, tandis que le reste du pays en paie le prix fort. C’est un peu le Far West du sucre, mais en version moderne et bureaucratique.
Dwayne Andreas et ADM : les architectes de l’empire du maïs
Impossible de raconter l’histoire du maïs sans parler de Dwayne Andreas. Un personnage clé ! Devenu PDG d’ADM en 1970, il a transformé cette entreprise de transformation alimentaire en « supermarché du monde ». Rien que ça ! Andreas, bien sûr, n’était pas un philanthrope désintéressé. Il se plaignait, paraît-il, d’être « poussé » à faire des dons politiques. Mais l’argent qu’il a distribué lui a rapporté de jolies faveurs en retour. C’est le donnant-donnant à l’américaine.
ADM a misé très tôt sur le marché en plein essor du sirop de maïs à haute teneur en fructose. Arrivé aux États-Unis dans les années 60 grâce à une technologie de production japonaise, le HFCS a décollé après l’envolée des prix du sucre au milieu des années 70. C’était le moment idéal ! ADM a su saisir l’opportunité. L’entreprise a plus que doublé la capacité de son usine de Cedar Rapids pour répondre à la demande croissante de HFCS. Bien joué, Dwayne !
Mesures de soutien des prix et tarifs douaniers : la main invisible du gouvernement (bien visible pour Andreas)
Pour résoudre les problèmes des agriculteurs américains (et surtout les siens, soyons honnêtes), Andreas a joué de ses relations à Washington. À la fin des années 70, avec d’autres entreprises de sirop de maïs, il a fait pression sur le sénateur Dole et l’administration Carter. Objectif ? Adopter des mesures pour soutenir la production nationale de sucre. Même si, techniquement, ils étaient en concurrence avec ces producteurs. C’est un peu comme demander à son concurrent de l’aider à gagner plus d’argent. L’audace !
Dole et Carter ont prêté main forte. En 1977, ils ont soutenu un projet de loi de soutien des prix pour les producteurs de sucre nationaux. De quoi apporter plus de stabilité aux prix de leurs récoltes. Puis, en 1981 et 1982, au moment même où les subventions au maïs augmentaient considérablement, Reagan a signé des décrets. Ces décrets ont relevé les prix planchers et renforcé les contingents tarifaires à l’importation sur le sucre étranger. En clair ? Plus de taxes sur le sucre importé, une fois un certain seuil atteint. De quoi rendre le sucre international beaucoup trop cher pour les entreprises agroalimentaires américaines. Et hop, le tour est joué !
Les entreprises américaines adoptent le HFCS : le mariage forcé (mais rentable)
Face à ces tarifs douaniers qui faisaient grimper les prix du sucre international, les entreprises américaines ont dit « non merci ». Mais elles n’avaient pas non plus envie de se ruiner avec le sucre national. Ce qu’elles voulaient, c’était du sirop de maïs à haute teneur en fructose. Pourquoi ? Parce qu’il coûtait généralement entre un tiers et la moitié du prix du sucre national. C’est une sacrée différence !
ADM et les autres entreprises de transformation alimentaire pouvaient acheter du maïs bon marché, subventionné, et vendre leur édulcorant à un prix inférieur à celui du sucre national. Tout en se faisant une marge confortable. C’est le jackpot ! Le sirop de maïs à haute teneur en fructose est devenu l’ingrédient star pour :
- Les crèmes glacées
- Les pâtisseries
- Les céréales
- La gelée
Le 28 janvier 1980, Coca-Cola a annoncé la fin progressive des sucres de betterave et de canne. Coke a précisé qu’elle autoriserait ses embouteilleurs à utiliser du sirop de maïs à haute teneur en fructose jusqu’à 50 % de ses sucres. C’était le début de la révolution sucrée ! En 1983, Pepsi a imité Coca-Cola en modifiant sa recette pour passer au 50/50. L’année suivante, les deux géants sont passés au 100 % sirop de maïs à haute teneur en fructose. Le même jour ! Drôle de coïncidence, non ?
Les contingents tarifaires à l’importation de sucre : une bonne idée ? Pas vraiment…
Les économistes s’accordent généralement à dire que les tarifs douaniers peuvent être bénéfiques pour un pays lorsqu’ils protègent une industrie importante. Mais dans le cas du sucre, c’est un peu différent. Depuis des décennies, des chercheurs et des analystes de tous bords politiques (du très conservateur Cato Institute au très progressiste New Republic) considèrent les contingents tarifaires sur le sucre comme un échec. Pourquoi ? Parce que peu de monde y trouve son compte. C’est un peu comme une recette ratée : tous les ingrédients sont là, mais le résultat est indigeste.
En 2023, le Government Accountability Office, un organisme non partisan, a estimé que ces tarifs entraînaient des coûts supplémentaires pour les consommateurs de l’ordre de 2,5 à 3,5 milliards de dollars par an. Oui, milliards ! Des chercheurs de l’American Enterprise Institute ont même estimé que ces tarifs empêchaient la création d’environ 20 000 emplois dans le secteur de la production alimentaire. C’est un peu comme se tirer une balle dans le pied économique.
Pourtant, les plantations de sucre ne représentent qu’environ 2 millions d’acres sur les 893 millions d’acres de terres agricoles américaines. Et le nombre d’emplois créés dans la culture de la canne à sucre grâce à ces tarifs ne serait que de 4 % supérieur à ce qu’il serait sans ces tarifs, selon une étude du Government Accountability Office. Bref, des tarifs qui coûtent cher à tout le monde pour un bénéfice marginal… Cherchez l’erreur !
L’influence de l’industrie agricole : quand le lobbying a le goût sucré
« L’industrie agroalimentaire est extrêmement efficace pour protéger ses marchés et ses subventions », constate un expert. Et il n’a pas tort. ADM, qui n’a pas souhaité commenter pour cet article (tiens, tiens…), figure régulièrement parmi les 5 % des acteurs les plus dépensiers en lobbying fédéral. Pas mal ! Un autre expert souligne le pouvoir de la famille Fanjul, qui domine l’industrie de la canne à sucre en Floride et arrose généreusement les politiciens de tous bords. Quand on vous dit que le sucre et la politique font bon ménage…
Alors, pourquoi l’Amérique a-t-elle arrêté d’utiliser le sucre de canne ? En fait, elle n’a pas vraiment arrêté. Elle a juste fait un détour par le sirop de maïs, guidée par des considérations économiques et politiques bien plus que par un soudain amour pour le maïs. Mais les consommateurs semblent revenir à des options plus « naturelles ». Et la politique, toujours prompte à surfer sur la vague, pourrait bien suivre le mouvement. L’histoire du sucre en Amérique est loin d’être terminée. Accrochez-vous, ça risque d’être encore un peu… sucré-salé.