Quelle est la sauce la plus ancienne ? Accrochez-vous, ça va sentir… le poisson !
La sauce la plus ancienne du monde ? Accrochez-vous bien, ce n’est ni le ketchup, ni la mayonnaise, mais bien une préparation à base de poisson fermenté : le garum ! Oui, vous avez bien lu, du poisson… fermenté. Délicieux, n’est-ce pas ?
Avant de vous laisser imaginer des horreurs olfactives, laissez-moi vous expliquer ce qu’est réellement cette ancêtre de toutes les sauces. Oubliez vos idées préconçues sur les sauces modernes et préparez-vous à un voyage gustatif… pour le moins original.
Le Garum : Un Condiment Antique et Surprenant
Alors, le garum, kézako ? Pour faire simple, imaginez une sorte de nước mắm à la romaine. Oui, cette sauce vietnamienne dont l’odeur peut parfois surprendre… disons, les non-initiés. Le garum, c’était un peu pareil, en version antique et potentiellement encore plus corsée.
Techniquement parlant, le garum, aussi appelé liquamen ou muria, était une sauce de poisson salée. C’était le condiment star de la Rome antique, déjà populaire chez les Étrusques et les Grecs (qui l’appelaient garos). On utilisait ça à toutes les sauces, littéralement.
Composition du Garum : Tripes de Poisson et Soleil…
La recette ? Rien de très compliqué, en théorie. Prenez des chairs ou des viscères de poisson, parfois même des huîtres, mélangez le tout avec une bonne dose de sel (pour éviter que ça ne tourne trop mal), et laissez fermenter au soleil pendant des semaines, voire des mois. Charmant, non ?
Pour être précis, on utilisait surtout des poissons gras comme les anchois, les harengs, le thon ou le maquereau. On pouvait aussi ajouter du vin vieux pour agrémenter le tout. Après cette macération au soleil, le mélange était filtré, et on récupérait le précieux jus : le garum.
Garum, Liquamen, Muria : Petit Lexique de la Sauce Antique
Vous vous y perdez un peu avec tous ces noms latins ? C’est normal ! Essayons de démêler tout ça.
- Garum : Selon certains experts, comme Sally Grainger, le terme garum désignait spécifiquement la sauce faite à partir du sang et des viscères de poisson. La partie noble, en quelque sorte.
- Liquamen : Le liquamen, lui, était préparé avec des poissons entiers. Une version peut-être un peu moins raffinée, mais tout aussi populaire.
- Muria : Et la muria dans tout ça ? C’était la saumure utilisée pour conserver le poisson. Parfois, on l’utilisait telle quelle comme sauce, car elle avait l’avantage de ne pas être considérée comme « pourrie » comme le garum… du moins, c’est ce que croyaient les Anciens. Vieillie, la muria était même très recherchée.
Bref, c’était un peu comme les différents types de vinaigre balsamique aujourd’hui : il y en avait pour tous les goûts et toutes les bourses.
Histoire du Garum : De la Mésopotamie à Nos Jours (Enfin, Presque)
L’histoire du garum ne date pas d’hier. En fait, elle remonte encore plus loin que les Romains ! On pense que l’ancêtre du garum serait le liq, une sauce mésopotamienne à base de poisson lacto-fermenté. Imaginez ça, une sauce de poisson à la mode il y a des milliers d’années !
Ce condiment, au parfum… disons, puissant, a ensuite conquis le Moyen-Orient avant d’arriver en Grèce sous le nom de garos ou garon. La première mention écrite remonte au Ve siècle avant J.-C., sous la plume d’Eschyle, rien que ça !
Les Romains ont ensuite adopté le garum avec enthousiasme, et il est devenu un pilier de leur gastronomie pendant des siècles, au moins jusqu’à l’édit de Dioclétien au IVe siècle. Mais le garum n’a pas disparu avec l’Empire romain. On en retrouve des mentions jusqu’au XVIe siècle, et il a continué à être utilisé en Méditerranée orientale.
Fabrication du Garum : L’Art de la Fermentation au Soleil
Revenons à la fabrication du garum. Imaginez les ateliers de production à l’époque romaine… Des bassins immenses en plein soleil, remplis de tripes de poisson en train de fermenter. Un parfum d’ambiance… disons, inoubliable !
Les Romains avaient même des bassins spéciaux pour ça, appelés cetaria, certains atteignant des tailles impressionnantes, jusqu’à 180 mètres cubes ! De quoi produire du garum en quantité industrielle.
Le garum le plus réputé, le garum sociorum, venait de Bétique, dans le sud de l’Espagne actuelle. Il était fait à partir de scombridés, des poissons migrateurs de l’Atlantique, pêchés à leur passage dans le détroit de Gibraltar. Un produit de luxe, en somme.
Pour les versions plus économiques, on utilisait d’autres poissons, comme le thon ou le maquereau, et la production était plus artisanale, un peu partout dans le bassin méditerranéen.
L’Allec : Les Restes du Garum, Version Discount
Et pour ceux qui n’avaient pas les moyens de s’offrir du garum de première qualité, il y avait l’allec. C’était en quelque sorte le fond de cuve, ce qui restait après avoir prélevé le meilleur du liquide. Moins cher, mais sans doute aussi moins… subtil au goût et à l’odeur.
Le Garum à la Table Romaine : Un Condiment Universel
Alors, comment utilisait-on le garum à Rome ? Partout ! C’était un peu comme le sel et le poivre aujourd’hui, mais en version sauce de poisson fermenté. Les recettes d’Apicius, un célèbre gastronome romain, en regorgent. Que ce soit pour assaisonner les légumes, les viandes, ou même les fruits, le garum était de toutes les fêtes.
On le mélangeait avec de l’huile ou du vin pour faire de l’oenogaros, utilisé notamment dans la préparation du boudin. Surprenant, non ? Et si l’on en croit un livre de recettes de l’époque, le garum se mariait même avec des compotes de poires, de coings ou d’abricots ! Les Romains avaient des goûts… éclectiques.
Variantes du Garum : Liquamen et Alec, les Cousins Moins Nobles
Comme on l’a vu, il existait différentes variantes du garum. Le liquamen était parfois considéré comme un synonyme de garum, mais il désignait aussi une méthode de fabrication particulière, ou une version faite à partir de poissons entiers.
L’alec, ou alex, était la version la moins qualitative, et sans doute la plus… odorante. Disons que c’était le garum pour les palais moins délicats, ou les bourses moins garnies.
Le Garum de Pompéi : Témoignage d’une Industrie Antique
Les fouilles de Pompéi ont révélé des amphores spéciales utilisées pour conserver le garum, appelées urcei. Ces flacons portaient des inscriptions indiquant le type de garum (notamment du liquamen) et le nom du fabricant, comme un certain Aulus Umbricius Scaurus, un véritable magnat du garum à l’époque.
La villa de Scaurus à Pompéi était même décorée de mosaïques représentant ces urcei, une sorte de publicité avant l’heure ! Et oui, il y avait bien une fabrique de garum à Pompéi en 79 après J.-C., juste avant l’éruption du Vésuve. De quoi laisser un parfum… persistant dans l’histoire.
Le Garum Aujourd’hui : Un Héritage… Olfactif ?
Alors, quel goût avait le garum ? On dit que sa saveur se rapprocherait de celle du nuoc-mâm vietnamien ou de l’allec du surströmming suédois, ce fameux hareng fermenté dont l’odeur fait fuir les Suédois eux-mêmes. Ça donne envie, n’est-ce pas ?
Le garum est aussi considéré comme l’ancêtre du pissalat niçois, une pâte de sardines et d’anchois aromatisée, et de la colatura di alici de Campanie, une autre sauce de poisson fermenté italienne.
Des archéologues, comme Sally Grainger, ont même tenté de refabriquer du garum selon les méthodes antiques. Pour la science, bien sûr… et peut-être aussi pour les amateurs de sensations fortes olfactives et gustatives.
Le Garum dans la Fiction : Même Astérix S’y Met !
Et pour finir sur une note plus légère, saviez-vous que le garum a même fait une apparition dans Astérix ? Dans l’album Astérix et la Transitalique, la marque de garum Lupus (« loup » en latin), avec son slogan « Garum Lupus, le condiment des champions », est le sponsor d’une course de chars. La preuve que le garum avait une image… euh… dynamique, à l’époque !
Alors, la prochaine fois que vous chercherez une sauce originale pour accompagner vos plats, pensez au garum. Bon, peut-être pas au vrai garum antique, mais à ses descendants modernes comme le nuoc-mâm ou le pissalat. Votre palais (et vos voisins) vous remercieront peut-être… ou pas !