Alors, la Crète Arabe, Késako ? Accrochez-vous, car on va plonger dans une histoire où les pirates côtoient les saints, le tout sur fond de mer Méditerranée, évidemment ! La Crète Arabe, c’est ni plus ni moins qu’une période fascinante de l’histoire crétoise. Imaginez un peu : au IXe siècle, des guerriers venus d’Al-Andalus, en Espagne, débarquent sur cette île byzantine et y établissent leur propre émirat. C’est un peu comme si des vacanciers un peu trop envahissants décidaient de ne jamais repartir, mais en version conquérante et avec des épées. Cette occupation arabe a duré environ 135 ans, de 824 ou 827/828 jusqu’à la reconquête byzantine en 961. Une longue période durant laquelle la Crète a vibré au rythme de l’Islam, tout en conservant des traces de son passé byzantin. C’est un chapitre souvent méconnu, mais absolument crucial pour comprendre le puzzle complexe de l’histoire méditerranéenne. Mais avant de devenir arabe, la Crète était byzantine, et pas n’importe comment ! Figurez-vous que cette île avait une importance religieuse de premier plan. Déjà au temps des Byzantins, la Crète n’était pas juste une île sympa pour les vacances (quoique, avec le soleil et la mer, ça devait déjà être pas mal). Non, c’était un lieu sacré, un siège apostolique fondé par Saint Paul et Saint Tite en personne ! Imaginez un peu la scène : Saint Paul, le voyageur infatigable de la foi, et Saint Tite, son disciple, foulant le sol crétois et y plantant les graines du christianisme. L’Église de Crète pouvait se vanter d’une telle filiation, de quoi rendre jaloux plus d’un diocèse ! Et ce n’est pas tout ! La Crète byzantine, c’était aussi la terre des dix martyrs. Ces saints, persécutés sous l’empereur Dèce vers 250 après J.-C., ont versé leur sang pour leur foi. Leurs histoires sont racontées avec ferveur, et leurs images ornent encore les églises crétoises des XIVe et XVe siècles. On les représente souvent en groupe, comme une équipe de choc de la sainteté. La liturgie byzantine les célèbre en grande pompe, avec des chants et des prières qui rappellent leur courage et leur sacrifice. Le 23 décembre, jour de leur commémoration, les Crétois honorent ces figures emblématiques, ces « perles du Christ » issues des martyrs. Dix saints qui, selon la tradition, ont brisé la force des démons, mille fois plus nombreux qu’eux. Une belle leçon de courage, non ? Mais attendez, l’histoire ne s’arrête pas là. Au Ve siècle, un événement pour le moins… spectaculaire secoue la communauté juive de Crète. Figurez-vous qu’un pseudo-messie, un genre de gourou avant l’heure, se pointe en se prétendant un nouveau Moïse. Il affirme être descendu des cieux et enjoint les juifs crétois à abandonner leurs biens pour le suivre en Terre promise. Ambiance fin du monde garantie ! Et là, le récit prend une tournure pour le moins inattendue. Suivant l’exemple suicidaire de leur chef illuminé, les juifs crétois se seraient jetés d’un promontoire dans la mer. Oui, vous avez bien lu, un plongeon collectif dans les eaux crétoises. Heureusement, des pêcheurs chrétiens, plus pragmatiques, auraient tenté de les sauver. À la suite de ce fiasco aquatique, une partie de la communauté juive se serait convertie au christianisme. Une histoire rocambolesque qui témoigne de la diversité religieuse et des tensions de l’époque. Sur le plan administratif et religieux, l’Église de Crète avait aussi son petit parcours mouvementé. Jusqu’aux années 730, elle était rattachée au patriarcat de Rome, tout comme l’Illyricum. Mais voilà, les relations entre Rome et Constantinople se tendent, notamment à cause de questions fiscales et de désaccords sur les images saintes. L’empereur Léon III décide alors de rattacher la Crète, ainsi que la Sicile et la Calabre, au patriarcat de Constantinople. Un peu comme un divorce administratif, mais entre Églises. Mais en réalité, les liens entre Rome et la Crète s’étaient déjà distendus depuis un moment. L’élection d’André de Crète comme métropolite de Gortyne par le synode de Constantinople, entre 692 et 713, en est un signe. Normalement, c’étaient les évêques locaux qui devaient élire le nouveau métropolite, avec l’aval du pape. Bref, ça sentait déjà le changement de rattachement à plein nez. Malgré ces péripéties, l’Église de Crète occupait une place de choix au sein du patriarcat de Constantinople aux VIIIe et IXe siècles. En 787, lors du concile de Nicée II, qui a réhabilité la vénération des images, le métropolite de Crète siège au 8e rang sur 33 métropoles représentées. Un classement plutôt flatteur ! Et il ne vient pas seul, il débarque avec ses 11 évêques suffragants. La Crète envoie la plus forte délégation à ce concile, signe de son importance à cette époque cruciale pour l’orthodoxie. Tout le synode crétois a fait le déplacement, rien que ça ! Dans les listes officielles qui fixent la hiérarchie ecclésiastique, le métropolite de Crète pointe au dixième rang au début du IXe siècle. Mais attention, trois siècles plus tard, après la conquête arabe et la reconquête byzantine, il dégringole à la 30e place. Un symbole du déclin de l’influence de l’Église de Crète. Les temps changent, même pour les institutions religieuses. Et puis, patatras, les Arabes débarquent ! La conquête de la Crète par les Arabes s’inscrit dans un contexte plus large de regain de l’expansion de l’Islam au IXe siècle. Les armées musulmanes, après une période de relative accalmie, reprennent leurs conquêtes. La Crète, île byzantine stratégiquement située en Méditerranée, devient une cible de choix. L’île aurait subi une première occupation temporaire vers le tournant du VIIIe et du IXe siècle. Mais la conquête en bonne et due forme intervient en 828. Les conquérants ? Des Arabes venus d’Al-Andalus, rien que ça ! Ces Andalous avaient d’abord migré à Alexandrie vers 818, avant de se lancer à l’assaut de la Crète sous la direction d’un certain Abu Hafs. Des pirates espagnols en quelque sorte, mais avec une ambition territoriale. Chassés d’Alexandrie en 827, ces Andalous se voient proposer un drôle de marché par les autorités égyptiennes. On les autorise à quitter l’Égypte, à condition qu’ils aillent s’installer en territoire byzantin. Un peu comme si on leur disait : « Vous êtes virés d’ici, mais allez donc embêter les Byzantins, ça nous arrangera bien ! ». C’est ainsi qu’Abu Hafs et ses hommes jettent leur dévolu sur la Crète. Selon l’historien Al-Baladhuri, Abu Hafs, surnommé « al-Ikritishi » (le Crétois), s’empare d’une forteresse de l’île, puis des autres, sans laisser un seul bastion aux Byzantins. Il aurait même entrepris de démanteler les fortifications de l’île. Un travail de sape en règle pour s’assurer que les Byzantins ne reviendraient pas trop vite. La Crète change de mains, et entre dans une nouvelle ère de son histoire. Les sources byzantines les plus anciennes sur la conquête de la Crète, comme la Vie de sainte Théodora et la chronique de Georges le Moine, datées des années 870, associent cet événement au règne de l’empereur iconoclaste Théophile (829-842). Elles présentent la conquête comme une conséquence des raids maritimes arabes menés contre les Cyclades, la Crète et la Sicile. Une vision un peu simpliste, qui met l’accent sur la menace arabe et minimise les facteurs internes. Mais au milieu du Xe siècle, les chroniques écrites au Palais, celles de Génésios et de Théophane Continué, proposent une autre version de la conquête. Un processus de réécriture de l’histoire, visant à glorifier la dynastie macédonienne, alors au pouvoir. La Crète devient un enjeu stratégique majeur pour Byzance, et aussi un sujet de débat à la Cour. Les Byzantins mobilisent de puissantes flottes pour tenter de reconquérir l’île. Un bras de fer s’engage entre Byzance et l’émirat arabe de Crète. En préambule au récit de l’expédition de 960-961 contre la Crète, la Vie de Romain II établit un lien entre la conquête arabe de l’île au IXe siècle et la révolte de Thomas le Slave contre l’empereur Michel II, en 821-823. Selon ce récit, la révolte de Thomas aurait affaibli les défenses byzantines et permis aux Arabes d’Espagne de s’emparer de la Crète, alors dépourvue de toute protection maritime. Le De administrando Imperio, un traité sur les peuples voisins de l’Empire compilé vers 950, reprend cette version. Il souligne que les Arabes de Crète sont les descendants des Andalous et attribue la perte de l’île à la rébellion de Thomas le Slave. Une manière de dédouaner un peu le pouvoir impérial et de trouver un bouc émissaire à cette défaite. La biographie de Michel II, dans la compilation de Théophane Continué, offre un récit plus détaillé de la conquête. Selon ce texte, c’est le siège de Constantinople par Thomas le Slave, en 821-822, qui aurait permis à quarante navires arabes de débarquer au cap Charax et de s’emparer de l’île. Les Arabes auraient établi un camp retranché, appelé « al-khandaq » (le fossé en arabe, transcrit en grec Chandax), qui deviendra la base de leur conquête de l’île. Le chroniqueur développe l’épisode avec force détails et, de manière surprenante, valorise le conquérant Abu Hafs. Il le qualifie même d' »amermoumnès », la transcription grecque d' »amir al-mu’minin », un titre réservé au calife ! Abu Hafs est présenté comme un chef charismatique, capable de galvaniser ses troupes et de leur faire miroiter une Crète présentée comme « la terre où coule le lait et le miel », une sorte de nouvelle Terre promise. Un moine aurait même indiqué à Abu Hafs l’emplacement idéal pour établir Chandax. Après avoir fait brûler ses navires, pour couper toute retraite à ses hommes, Abu Hafs les aurait incités à épouser leurs captives chrétiennes. Chandax est présentée comme l’acropole de toute la Crète, à partir de laquelle les Andalous soumirent toutes les villes de l’île, à l’exception d’Éleutherna, dont la population aurait été autorisée à rester chrétienne. Le chroniqueur mentionne aussi le martyre de Cyrille, évêque de Gortyne, mais il s’agit d’une confusion avec un autre Cyrille, martyrisé en 303. Théophane Continué affirme que de nombreux martyrs crétois sont venus s’ajouter aux fameux dix saints. Le christianisme aurait été éradiqué de l’île. Un récit épique, mais sans doute un peu romancé, qui vise à souligner l’ampleur de la perte et la nécessité de la reconquête. Mais la réalité est sans doute plus nuancée. Contrairement à ce qu’affirme Théophane Continué, le christianisme n’a pas totalement disparu de Crète sous domination arabe. Des chrétiens ont continué à vivre sur l’île, même si les métropolites attestés à cette époque résidaient hors de Crète, dans l’Empire byzantin. Et Chandax n’était pas un site vierge avant la conquête arabe. Le palais du stratège de l’île y était établi depuis le milieu du VIIIe siècle. Les chroniqueurs byzantins du Xe siècle avaient une connaissance assez limitée de la conquête arabe et ont probablement brossé un tableau un peu caricatural d’une entreprise de colonisation massive et de conversion forcée à l’islam. Cette description servait surtout à mobiliser les esprits en vue de la reconquête. La réalité de la Crète arabe était sans doute plus complexe, avec une coexistence, parfois conflictuelle, entre les communautés musulmane et chrétienne. La perte de la Crète a eu des conséquences immédiates et désastreuses pour Byzance. La mer Égée est devenue un terrain de jeu pour les pirates arabes crétois, qui lançaient des raids sur les îles et les côtes byzantines. La conquête de la Sicile débute dès 828, profitant de la vulnérabilité byzantine en Méditerranée. La coupure entre Méditerranée occidentale et Méditerranée orientale date de cette époque. Un véritable choc géopolitique. Sur le plan spirituel, la perte de la Crète est aussi perçue comme une menace. La capture de saints par les Arabes et leur séjour en Crète, où ils exhortent leurs compagnons de captivité à rester fidèles à la foi chrétienne, devient un thème récurrent dans l’hagiographie byzantine. La Vie de Joseph l’Hymnographe raconte ainsi la capture du saint vers 836-842 et sa captivité en Crète, jusqu’à ce qu’il soit racheté et puisse retourner à Constantinople. La Crète arabe, terre de pirates et de captivité, devient un lieu d’épreuve pour les chrétiens. Byzance ne reste pas inactive face à la menace crétoise. Des expéditions byzantines sont organisées pour tenter de reconquérir l’île. En 843-844, une expédition maritime menée par le logothète Théoktistos parvient à reprendre une partie de la Crète. Un certain magistre Serge Nèkètiatès aurait même été inhumé en Crète à cette occasion, dans un monastère appelé « Ta Magistrou ». Ses reliques auraient ensuite été transférées en Bithynie, dans le monastère de Nikètiatou, fondé par Serge lui-même. Des succès partiels, mais qui ne remettent pas en cause la domination arabe sur l’ensemble de l’île. Les sources arabes confirment l’importance militaire de la Crète pour l’émirat face à l’Empire byzantin. L’île constitue une base de départ idéale pour les raids maritimes. Le géographe Ibn Hawqal, qui écrit après la reconquête byzantine de la Crète en 961, souligne qu’avant cette date, les musulmans de Crète « constituaient pour la chrétienté une épreuve bien réelle, car ils portaient matin et soir des coups incessants ». Leur proximité géographique et leur position dominante leur permettaient de harceler constamment les Byzantins. « Depuis la conquête de la Crète par les musulmans, les chrétiens ne pouvaient ni y pénétrer ni en sortir ». L’île était en état de guerre permanent, avec des trêves occasionnelles, mais toujours à l’avantage des musulmans. Un témoignage éloquent sur l’impact de la Crète arabe sur l’équilibre des forces en Méditerranée. L’émirat crétois lance des raids maritimes audacieux en mer Égée et même en Adriatique. La flotte byzantine, souvent dépassée en nombre, se montre impuissante à endiguer ces attaques. Une véritable guérilla maritime oppose les flottilles byzantines aux flottes arabes. Vers 839, une flotte byzantine est vaincue au large de Thasos. Vers 860, une escadre crétoise de trente navires ose même traverser les Dardanelles et atteindre la Proconnèse (l’île de Marmara), aux portes de Constantinople ! En 872, des Sarrasins venus de Crète saccagent les villes dalmates et envahissent l’île de Brazza (Brac, en Croatie). La Crète arabe, une véritable épine dans le pied de Byzance, une base de piraterie redoutable qui a marqué durablement l’histoire de la Méditerranée. Voilà, vous savez maintenant ce qu’est la Crète Arabe, une page d’histoire riche en rebondissements, en saints, en pirates et en retournements de situation. Une histoire à la fois fascinante et méconnue, qui mérite d’être redécouverte.
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